Les Vicomtes de Rouergue-Millau (X°-XI° Siecles)
Jérôme BELMON
LES VICOMTES DE ROUERGUE-MILLAU (X°-XI° SIECLES)
Positions des thèses soutenues par les élèves de la promotion 2002
PARIS : Ecole Nationnale des Chartes, 1992, pp.21-30
INTRODUCTION
Nos connaissances sur la principauté des comtes de Toulouse aux X°-XII° siècles reposent encore en partie sur les travaux anciens de grands érudits comme Ferdinand Lot, Joseph Calmette ou Auguste Molinier, lointains héritiers de dom Claude Devic et dom Joseph Vaissete. Toutefois, de grandes monographies régionales ont apporté, ces vingt dernières années, un profond renouvellement de notre savoir dont a largement bénéficié un Midi jadis délaissé et aujourd’hui en passe d’être érigé en modèle. C’est à partir de ces récents acquis que le renouveau actuel de l’étude du politique peut permettre un aggiornamento de l’histoire des pouvoirs dans le Midi des X°-XII° siècles.
La présente contribution s’inscrit dans cette dernière perspective en privilégiant l’étude d’une lignée, les vicomtes de Rouergue du Xe siècle et leurs successeurs du XI° siècle, les vicomtes de Millau.
SOURCES
Très peu de fonds laïques des X°-XI° siècles ont traversé les siècles jusqu’à nous. Seuls quelques rares cartulaires seigneuriaux (comme ceux des Trencavels, vicomtes de Béziers-Albi, et des Guillems de Montpellier) ou des copies postérieures peuvent remédier à la disparition des originaux. Les archives des vicomtes de Millau et de leurs successeurs du XII° siècle, les comtes de Barcelone, rois d Aragon, ou leurs cousins, les comtes de Provence, étaient conservées à Millau dans un fonds particulier jusqu’au milieu du XIII° siècle, puis ont été intégrées aux archives du consulat de la ville. Ce, dépôt a malheureusement beaucoup souffert des guerres de Religion : il ne restait plus rien des actes vicomtaux lors du passage des copistes du président de Doat en 1667. Quelques originaux sont toutefois passés, au début du XIIIe siècle, dans le chartrier des comtes de Toulouse et, de là, au Trésor des chartes des rois de France (Archives nationales, série J). De plus, deux campagnes de copies furent réalisées pour certains actes (censiers et dénombrements ; serments de fidélité et hommages) : la première, dans la première moitié du XIIIe siècle, à l’instigation des comtes de Provence (Archives départementales des Bouches-du-Rhône, série B). et la seconde, à la fin du XIII° siècle, sur l’ordre du roi de France, alors en procès avec l’évêque de Mende (Archives départementales de la Lozère, G 455). Ces copies concernent surtout des actes du XIIe siècle. Pour l’époque antérieure, il faut se contenter de sources ecclésiastiques. Parmi ces dernières, on peut notamment signaler l’intérêt que présentent le cartulaire de l’abbaye de Vabres (pour le Xe siècle) et le fonds de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille (pour la deuxième moitié du XI° siècle).
PREMIÈRE PARTIE
LES VICOMTES DE ROUERGUE AU X- SIÈCLE
Chapitre premier
LE MIDI RAIMONDIN AUX IX°-X° SIÈCLES
Les rivalités entre grands (vers 840-vers 890).
Le Rouergue semble administré dès le milieu du IX° siècle par un membre de la famille des Raimondins, Frèdelon, comte de Toulouse avant 847, auquel succède son frère Raimond I° (vers 852-863). On ignore le sort du comté à la mort du fils de Raimond I°, Bernard le Veau, assassiné en 872 à l’instigation de Bernard Plantevelue. Ce n’est qu’en 906 qu’un Raimondin est à nouveau attesté en Rouergue avec le comte Ermengaud (906-936).
La principauté raimondine (vers 890-vers 970). Si l’on suit le texte d’une généalogie navarraise de la fin du X° siècle, quatre Raimond se succèdent à Toulouse, Albi et Nîmes durant le Xe siècle : Raimond II (878-923), Raimond-Pons (924-vers 940), son fils Raimond et le fils de ce dernier, Raimond, qui meurt devant Carcassonne en 978-979. Le Rouergue revient à une branche cadette, successivement représenté par Ermengaud (906-936), Raimond I° (940-961) et Raimond II (mort vers 1010).
Le début du X° siècle marque l’émergence de la principauté raimondine que favorisent le rattachement de la Gothie vers 920 et la disparition du dernier duc Guilhemide, Act’red, en 927. Au milieu du X° siècle, les comtes de Toulouse ci leurs cousins rouergats gouvernent conjointement un vaste territoire qui s’étend du Rhône à Toulouse et du sud de l’Auvergne aux Pyrénées centrales. Tout en continuant à se comporter en fidèles du roi jusqu’au milieu du X° siècle, les Raimondins jouissent progressivement de la plénitude des droits royaux dans leur principauté, en assumant leurs devoirs de défenseurs de la paix publique (en luttant contre des bandes normandes) et de protecteurs des eghses. L’évolution de leur titulature est particulièrement significative de l’affirmation de leurs prétentions à l’autonomie. notamment avec le recours au titre romain de princeps.
Des mariages croisés avec les ducs de Gascogne (début du Xe siècle) et, peut- être, avec des comtes de Barcelone (vers 950-970) scellent des alliances politiques à l’échelle régionale, alors que l’union (vers 950) entre Raimond I° de Rouergue et Berthe, nièce du roi d’Italie, Hugues d’Arles, et arrière-petite-fille de Lothaire II, rattache les Raimondins au sang carolingien.
Chapitre II
RECONSTITUTIONS GENEALOGIQUES
L’essentiel de nos informations (quelques rares mentions explicites de liens de parenté) provient de sources diplomatiques ecclésiastiques qui tendent à surévaluer le rôle du seul groupe domestique au détriment de solidarités familiales plus larges. Il est néanmoins possible de corriger en partie ces lacunes en recourant. avec prudence, a l’anthroponymie : les indices de parenté suggérés par le matériel onomastique doivent en effet être confirmés par des connexions patrimoniale- (succession dans la propriété d’un même bien. proximité géographique des patrimoines) ou sociales (appartenance à un même niveau social) pour devenir probants.
Le vicomte Bégon (855/56-vers 868). Bégon, premier vicomte attesté par la documentation locale, apparaît dans l’entourage immédiat des comtes Frédelon et Raimond I°. Toutefois, rien ne permet d’arf’irmer qu’il exerçait son autorité en Rouergue.
Le groupe de parenté du vicomte Bernard I° (914-mort avant 912).
Premier vicomte de Rouergue explicitement attesté, Bernard I° est le fils d’Amblard- Georges, vicarius et vassal du comte de Rouergue Ermengaud en 906, et de Sénégonde. Plusieurs de ses frères sont connus, dont l’un, Frédelon, est abbé de Vabres (915-932). Bernard I° descend par sa mère des premiers comtes raimondins : Sénégonde est en effet la fille d’un certain Garnier et de Folcrade qui semble bien être la fille du comte Frédelon ou de son frère Raimond I°. Plusieurs rapprochements anthroponymiques attestent en tout cas de la proximité de ces deux groupe de parenté : le nom Folcrade évoque Foucaud, père des comtes Frédelon et Raimond I° et missus de Louis le Pieux avant 837, alors que les anthroponymes Sénégonde, Bernard, Frédelon sont communs aux deux lignées. Le successeur de Bernard I°, son fils présumé Bernard II, est attesté entre 929 et 936 aux côtés du comte Ermengaud et, en 937, avec ses deux enfants. Bernard et Bérenger. Les hypothèses traditionnelles concernant le sort de ces deux derniers personnages (Bérenger aurait succédé à son père en Rouergue, alors que Bernard serait devenu vicomte en Gévaudan) paraissent très fragiles. Georges évoque de Rodez vers 940, semble bien, en revanche, appartenir à la lignée vicomtale. Malheureusement, un hiatus documentaire ne permet pas de suivre ce lignage dans la deuxième moitié du X° siècle.
La parenté matrilatérale de Bernard I°. Toujours par sa mère Sénégonde Bernard I° est le neveu de Frédelon (fils de Garnier et Folcrade), vassal et représentant de son cousin, le, comte Raimond II de Toulouse, dans la région d’Anduze au début du XI° siècle. De son mariage avec Odda, Frédelon eut notamment deux enfants, Udalgarde et Raimond, fondateurs respectifs vers 925 et en 943 de deux des principaux prieurés rouergats de l’abbaye raimondine de Vabres Nant et Lavernhe. Des connexions anthroponymiques et patrimoniales permettent de penser que Frédelon est l’ancêtre en ligne agnatique des sires d’Anduze du XI° siècle.
Le vicomte Rainon (929-936) et sa parenté. Un vicomte Rainon apparaît en Rouergue entre 929 et 936. Quelques indices onomastiques donnent a penser qu’il se rattache a un groupe de parenté intégrant deux évêques, Maganfred de Rodez (937-942) et Odimbellus de Lodève (vers 1029-1032), et plusieurs personnage ; de la haute aristocratie rouergate, le diacre Élie (942) ou Salustre (955/979). Là aussi, l’indigence des sources interdit de dépasser le stade des hypothèses, notamment pour envisager de possibles liens avec la parenté des vicomtes Bernard.
Chapitre III
LE PATRIMOINE DES VICOMTES
Implantation foncière. - La documentation met en évidence la dispersion relative de la propriété vicomtale sur un territoire pouvant couvrir en partie deux on trois pagi voisins : le groupe de parenté du vicomte Bernard est ainsi possessionné sur l’ensemble du Rouergue (de l’Aubrac aux limites de l’Albigeois), alors que les biens des ancêtres des seigneurs d’Anduze chevauchent les limites du Rouergue, du Gévaudan et du Nîmois. Toute appréciation quantitative globale, ou même toute délimitation géographique des principaux noyaux patrimoniaux, s’avère néanmoins impossible en l’état des sources.
Structure des patrimoines.
Le patrimoine foncier vicomtal connaît un morcellement poussé : il intègre quelques grands ensembles domaniaux (curtes, ville) plus ou moins vastes et homogènes, à côté d’une importante micro-propriété éclatée en une multitude de petites exploitations coloniaires (mansi) sans lien apparent avec un centre domanial. La majeure partie des curtes mentionnées dans la documentation rouergate (dix-huit) appartient à la haute aristocratie de fonction (comtes et vicomtes) Comme le montre l’exemple de la cour de Costrix, il s’agit souvent de domaines esclavagistes de type pionnier établis dans des zones de colonisation récente. La faiblesse des liens entre réserve et tenures interdit cependant de parler de " système domanial classique ".
Chapitre IV
INSTITUTIONS ET PARENTE DANS LA PRINCIPAUTÉ RAIMONDINE. Les vicomtes dans l’organisation institutionnelle raimondine. Si des vicomtes apparaissent dans la principauté raimondine dès le milieu du IX° siècle, c’est seulement au début du X° siècle que leur autorité semble s’exercer dans le cadre de ressorts géographiques précis, le plus souvent des pagi. Ils sont choisis par les comtes parmi les vicarii, comme en témoignent le titre, rare, de "vicecomites et vicarius » porté par Rainon entre 929 et 936, ou le choix de Bernard I°. fils d’un vicarius. comme vicomte de Rouergue entre 906 et 914. L’hérédité s’impose au début du X° siècle au bénéfice de certaines lignées. Quelque soit le mode de dévolution des charges vicomtales. leurs détenteurs restent néanmoins étroitement soumis aux Raimondins. Agents du comte, ils se substituent a lui dans l’exercice de fonctions judiciaires et militaires, tout en contrôlant certains sièges épiscopaux et abbatiaux.
Parenté et politique.
Les Raimondins choisissent certains de leurs agents dans leur famille, comme le démontrent les exemples du vicomte Bernard I° de Rouergue et de Frédelon d’Anduze. De même, ils nouent de fréquentes alliances matrimoniales avec leurs lieutenants, le plus souvent en leur donnant une de leurs filles ou parentes : c’est le cas avec les vicomtes de Narbonne (liés aux comtes de Rouergue par un intermariage au milieu du X°siècle) et, certainemenl, avec les vicomtes de Béziers, de Lodéve et les comtes de Carcassonne. Les liens de parenté. et singulièrement l’alliance. constituent donc une arme aux mains des comtes pour affermir leur contrôle sur leurs agents et doubler les liens institutionnels pouvant par ailleurs exister.
Les institutions féodo-vassaliques. Les comtes méridionaux recourent, à la vassalité en intégrant dans leur fidélité les vicomtes, les vicarii, certains abbés et peut-être des évêques. Le niveau social de ces vassi comtaux ne fait guère de doute : tous appartiennent à la haute aristocratie. De même. des vassaux d’évêques de vicomtes et, même, de vicarii sont attestés dans la documentation. La vassalité reste cependant une pratique institutionnelle qui semble limitée à un milieu social restreint, l’aristocratie en fonction. Le fevum apparaît dès la fin du IX° siècle et son usage semble généralisé au milieu du X° siècle : dès cette époque, le fevum a perdu tout caractère public en Languedoc. De même, la castellania (fief accordé pour la garde d’un château) est attestée à deux reprises en Rouergue dès la deuxième moitié du X° siècle : une îles plus anciennes convenientie méridionales et le serment correspondant du castellanus remontent ainsi a l’épiscopat de Deusdet de Rodez (961-997). Les principaux traits de la féodalité sont donc en place dans le Midi bien avant l’an mil.
DEUXIÈME PARTIE
LES VICOMTES DE MILLAU AU XIe SIÈCLE
Chapitre premier
La crise de l’An Mil
La principauté raimondine connaît à la fin du X° siècle les prémices d’une réelle crise politique.
Les violences.
Plusieurs guerres éclatent au sein du groupe nobiliaire dés les années 980-985. L’équilibre politique régional est notamment ébranlé par la montée en puissance de la maison comtale de Carcassonne (après un regroupement territorial permis par le mariage d’Arnaud, issu de la maison comtale de Comminges-Couserans, et Arsinde, héritière des comtés de Carcassonne et deRazès). Le comte Roger le Vieux entre ainsi en conflit avec Raimond, comte de Toulouse, qui est tué devant Carcassonne en 978/979. puis avec Oliba Cabreta, comte de Cerdagne, avant 981. A la même époque, on peut citer la rivalité qui oppose les vicomtes de Turenne aux sires de Castelnau pour le contrôle de l’abbave de Beaulieu (vers 980) ou la mort au combat du vicomte Guy de Clermont devant Mende (vers 985). Le recours à la violence semble alors généralisé à toute la société, dans un monde où les seuls rapports de force déterminent l’équilibre social.
La fin de la Justice publique.
Le phénomène est connu : les institutions judiciaires publiques connaissent une désagrégation progressive et continue au X° siècle. Toutefois la disparition des collèges de juges et la substitution du compromis négocié (convenientia) au jugement traduisent plus un phénomène culturel de déclin des connaissances juridiques (dès le milieu du X° siècle en Aquitaine, cinquante ans plus tard en Gothie) qu’une désagrégation réelle de l’autorité publique. C’est seulement avec le morcellement de la justice comtale en une multitude de juridictions châtelaines que l’on peut parler de faillite de l’ordre institutionnel carolingien.
La Paix de Dieu. Dans une continuité institutionnelle carolingienne, les détenteurs de l’autorité publique (princes, comtes et évêques) tentent d’enrayer les violences qui minent leur pouvoir en multipliant des conciles de paix, réunions où des foules considérables se rassemblent autour des statues-reliquaires de saints thaumaturges. Dans le sud du Massif central, on peut citer les conciles d’Aurillac (ou Coler, avant 994), de Lalbenque en Quercv (vers 994) ou de Rodez (ou Saint-Félix, vers 1010-1015).
L’avènement de la seigneurie. Cette réaction ne peut éviter la dilution des restes de l’autorité publique aux mains de familles châtelaines souvent issues de l’aristocratie comtale et vicomtale ou apparentées à elle. Désormais le pouvoir s’organise autour du château, centre de la seigneurie où convergent les anciennes taxes publiques. En Rouergue, on dénombre pour le Xe siècle une quinzaine de châteaux et une cinquantaine avant 1075.
Chapitre II
GÉNÉALOGIE DES VICOMTES DE MILLAU
Du fait d’un hiatus documentaire dans la deuxième moitié du X° siècle, aucune preuve ne vient étayer l’hypothèse généralement admise d’une continuité biologique entre les vicomtes de Rouergue et le premier vicomte de Millau attesté vers 1002, Richard I°.
Richard I° (vers 1002-1013). Le vicomte Richard 1° est très mal connu : il fait une donation à l’abbaye de Conques en 1002 et pourrait être l’époux de Sénégonde, fille du vicomte Guillaume de Béziers, comme l’indiquerait peut-être une notice de plaid de 1013, concernant les salines languedociennes de Palais. Son successeur Richard II est certainement son fils. Richard II ( 1023-rers 1050). Les mariages de Richard II avec Rixende de Narbonne et d’une sœur probable de Richard, Foy, avec le frère de Rixende. Le vicomte Bernard de Narbonne, scellent entre les deux maisons vicomtales une alliance politique durable et accentuent l’orientation méditerranéenne de la politique millavoise (Richard II sera même impliqué dans la reconquête catalane de Taragonne vers 1050). Richard est aussi le premier vicomte rouergat attesté en Gévaudan où il conclut avec l’évêque Raimond de Monde un accord de paix (constitutif pacis) avant 1048. Les enfants de Richard II et de Rixende de Narbonne. On connaît au moins huit enfants de ce couple. Trois fils (Bérenger, Raimond et Hugues) se partagent le pouvoir vicomtal. Deux autres, Bernard et Richard, sont abbés de Saint-Victor de Marseille et légats pontificaux, Richard devenant par ailleurs- cardinal et archevêque de Narbonne, alors qu’un probable frère. Gerhert. Reste archidiacre à Rodez. Deux sœurs enfin épousent respectivement un puissant seigneur rouergat. Acfred de Lèvezou, et un vicomte de Bruniquel. Cette génération est marquée par la montée en puissance de la famille vicomtale grâce au mariage heureux du vicomte Bérenger (1051-mort entre 1080 et 1097) avec l’héritière des vicomtes de Carlat et de Lodève. Adèle de Carlat, et grâce au rôle politique international des deux grands prélats grégoriens que sont Bernard et Richard. Des liens très étroits unissent alors l’abbaye de Saint-Victor de Marseille aux vicomtes millavois dont les très nombreuses et abondantes libéralités sont à l’ongine de plusieurs importants prieurés victorins en Rouergue et Gévaudan : La Canourgue, Millau, Saint-Léons et Le Poujol.
Les fils du vicomte Bérenger. Deux fils du vicomte Bérenger, Gerbert et Richard, lui succèdent. Gerbert doit à son oncle le cardinal Richard d’Albano un brillant mariage avec l’héritière du comté de Provence, Gerberge. Gerbert meurt d’ailleurs en Provence entre 1110 et 1112, laissant comme héritière une fille. Douce. C’est encore le cardinal Richard qui arrange le mariage de Douce en 1112 avec le comte de Barcelone Raimond-Bérenger III. Outre le comté de Provence. le Catalan reçoit ainsi une partie de la vicomte de Millau-Gévaudan et la moitié du Carladès, ensemble désormais désigné au XII° siècle sous le nom de comté de Millau ou de Cévaudan. Le vicomte Richard, frère de Gerbert. récupère l’autre partie de l’ensemble millavois (droits sur la vicomte de Lodève, moitié du Carladès et partie de la vicomte de Millau). Il rachète en 1112 au comte de Toulouse Alphonse-Jourdain les droits dont jouissaient les anciens comtes de Rouergue à Rodez. L’ensemble de ces biens constituera la base territoriale de la nouvelle dynastie issue du vicomte Richard, les comtes de Rodez.
Chapitre III
PATRIMOINE ET PARENTÉ
Le domaine vicomtal dans la deuxième moitié du XI° siècle.
Le domaine vicomtal est en partie connu grâce à un censier des vicomtes Gerbert et Richard. Dresse à partir d’un partage (divisional) réalisé par le vicomte Richard II avant 1050 ce document énumère plus de six cents manses répartis en six ressorts fiscaux (vicaria ou menesteir). Toutefois ne sont pas comptabilisés l’héritage de Carlat et Lodève. ainsi qu’un certain nombre de biens périphériques en Rouergue et Gévaudan : sans prendre en compte l’ensemble Carlat-Lodève, on peut estimer la fortune foncière des vicomtes à un minimum de huit cents manses. Par contre les documents manquent pour connaître le nombre de châteaux contrôlés directement par les vicomtes ou par leurs fidèles : à partir de mentions éparses, on peut avancer le chiffre minimum d’une dizaine. Un seul serment de fidélité a été conservé : il s’agit d’un serment prête au vicomte Bérenger et à ses fils par Aldebert de Canillac pour six châteaux situes a la limite du Gévaudan et du Rouergue. Il serait cependant erroné, semble t’il, de conclure, à partir de ce contexte documentaire particulier, à la faiblesse de la féodalisation dans le sud du Massif central, alors que les exemples des Trencavels en Albigeois, des Guillems autour de Montpellier ou des seigneurs de Peyre en Gévaudan prouvent le contraire.
Evolution des structures de parenté.
Même si plusieurs partages de biens sont attestés dans la famille vicomtale, une très forte cohésion unit les consanguins dans la gestion du patrimoine. Bérenger, Hugues et Raimond portent, tous trois le titre de vicomtes, comme Gerbert et Richard, et il est rare que l’un d’eux fasse une donation sans le consentement d’un de ses frères ou neveux. Si les alliances matrimoniales des vicomtes Richard II avec Rixende de Narbonne, de Bérenger avec Adèle de Carlat-Lodéve et de Gerbert avec l’héritière de Provence permettent d’augmenter domaine et prestige, les filles sont le plus souvent données à des hommes de rang social inférieur, appartenant à de grands lignages châtelains : vicomtes de Bruniquel, seigneurs de Lévezou en Rouergue, et peut-être seigneurs des Deux-Vierges en Lodévois ou de Mellancha en Gévaudan. La seule exception concerne Foy, sœur probable de Richard II et épouse de Bernard de Narbonne, mais il s’agit là d’un mariage croisé. Quant aux frères cadets leur sort est mal connu : tout juste peut-on noter que l’on ne prête aucune descendance aux vicomtes Raimond et Hugues. L’origine sociale d’Adélaide, épouse du frère de Gerbert, Richard, est tout aussi mystérieuse. Les solidarités créées par les liens de parenté s’expriment pleinement dans népotisme qui préside à la dévolution de certains sièges ecclésiastiques. Ainsi le cardinal Richard succède à son frère Bernard à Saint-Victor de Marseille et accède au siège archiépiscopal de Narbonne (1106-1121) près de vingt ans après son oncle maternel Pierre-Berenger de Narbonne, Richard protège deux de ses neveux : Arnaud de Lévezou, son successeur à Narbonne (1121-1149) après avoir été évêque de Béziers (1095-1121), où son propre neveu, Bermond de Lévezou, lui succédera, et Atton de Bruniquel, archevêque d’Arles (1115-1128). De même le contrôle du siège episcopal de Lodève permet aux vicomtes de placer certains de leurs fidèles comme Bernard de Prévinquières ou Déodat de Caylus.
CONCLUSION
Dans le première moitié du X° siècle, la principauté raimondine forme un ensemble politique cohérent et profondément structuré par une vassalité qui semble largement répandue, au moins dans l’aristocratie de fonction, et par des liens de parenté qui traversent le groupe dirigeant (comtes, vicomtes, évêques et abbés). Certains lignages vicomtaux sont directement issus des Raimondins (vicomtes de Rouergue, vicarii d’Anduze), presque tous sont liés aux comtes par une alliance matrimoniale (notamment, les premiers d’entre eux, les vicomtes de Narbonne). Toutefois, dès les années 980 apparaissent les premières fissures dans l’édifice politique. Le Languedoc semble dès lors connaître une crise politique plus précoce, mais aussi plus diffuse, plus lente et moins brutale dans son évolution que la Catalogne. L’autorité publique glisse dans les mains des vicomtes qui l’exercent désormais dans le cadre plus réduit de leur seigneurie. Les vicomtes de Millau disposent, dans la première moitié du XI° siècle, d’un domaine important qu’une habile politique internationale viendra arrondir, tout en rehaussant le prestige de la famille. L’absence de documents féodaux rend malheureusement impossible l’étude de la reconstruction du pouvoir vicomtal dans la deuxième moitié du XI° siècle. C’est toutefois le destin personnel des abbés Bernard et Richard qui permettra à leur lignée de se hisser au rang des premières familles seigneuriales du Midi. C’est donc avant tout un facteur externe, la réforme grégorienne et la faveur pontificale, qui vient modifier l’équilibre régional des pouvoirs.
PIECES JUSTIFICATIVES
Edition du censier de Gerbert et Richard de Millau (après 1080- 1110/1112)
ANNEXES
Révision chronologique des listes comtales et épiscopales en Rouergue au début du Xe siècle. - Cartes et généalogies.